La santé mentale, ce vaste territoire de l’âme humaine, reste un mystère enveloppé de silence dans bien des foyers au Congo. Ici, on parle de tout : de la politique, de la météo, des réussites scolaires des enfants. Mais la santé mentale ? C’est un sujet que l’on contourne avec soin, un nuage que l’on regarde sans jamais chercher à percer. C’est une réalité palpable, et pourtant invisible, dissimulée derrière des sourires, des regards baissés, des silences lourds.
Dans notre culture, où la communauté prime sur l’individu, la souffrance mentale est souvent incomprise, minimisée, voire niée. Quelqu’un qui dit se sentir épuisé ou vide est rapidement accusé d’être faible. « Tu es paresseux », « Tu ne pries pas assez », « Tu es possédé », entend-on souvent. La dépression ? L’anxiété ? Ce sont des concepts que beaucoup associent à des « problèmes d’Occidentaux », des luxes que seules les sociétés riches peuvent se permettre de diagnostiquer.
Mais la vérité, c’est que la souffrance mentale est bien là. Elle se cache dans ces hommes qui s’isolent, incapables de supporter la pression de subvenir aux besoins de leurs familles. Elle se loge dans ces femmes qui pleurent en silence chaque nuit, portant le poids d’une vie où elles doivent tout donner sans jamais demander. Elle se devine dans ces enfants qui grandissent sous une pression insupportable, sommés d’exceller à tout prix pour honorer le sacrifice de leurs parents.
Les croyances traditionnelles jouent un rôle central dans la perception de ces souffrances. Dans de nombreuses communautés, la maladie mentale n’est pas vue comme un trouble médical, mais comme une manifestation spirituelle. Une personne qui parle seule dans la rue n’est pas perçue comme atteinte de schizophrénie, mais comme quelqu’un qui a été maudit, ou pire, comme un sorcier. Les mots comme « possédé », « envoûté », « victime de malédiction » surgissent souvent avant que l’idée même d’une maladie ne soit envisagée.
Ces interprétations, bien qu’enracinées dans des siècles de tradition, freinent souvent l’accès aux soins appropriés. Au lieu de consulter un médecin ou un psychologue, les familles se tournent vers les guérisseurs traditionnels, les prêtres ou les pasteurs. Ces figures, respectées et influentes, proposent des rituels, des prières, des potions. Si ces pratiques offrent parfois un réconfort temporaire, elles ne suffisent pas à traiter des troubles graves comme la dépression, le trouble bipolaire ou la schizophrénie.
Mais peut-on blâmer ces familles ? Dans un pays où l’accès aux soins médicaux est un luxe, où les hôpitaux manquent de tout, et où un psychiatre peut couvrir une région entière, que reste-t-il d’autre ? La médecine moderne, bien qu’efficace, semble lointaine, inaccessible. Alors, on fait ce que l’on peut avec ce que l’on a. On prie, on espère, on attend que le mal s’en aille de lui-même.
Le silence est une autre barrière. Au Congo, et dans beaucoup de cultures africaines, la santé mentale est un sujet tabou, un secret que l’on garde enfermé derrière des portes closes. Les familles craignent le jugement, les rumeurs, le regard des autres. Dire qu’un membre de la famille souffre de troubles mentaux, c’est risquer de ternir l’honneur du nom, de jeter une ombre sur tout un clan.
Ainsi, les malades sont souvent isolés, cachés, parfois même enfermés. Les familles agissent non pas par cruauté, mais par peur, par honte. Elles espèrent protéger l’individu, mais elles ne font qu’aggraver sa souffrance. Ce silence est lourd, étouffant. Il empêche les conversations nécessaires, les gestes d’aide, les ouvertures vers une possible guérison.
Et pourtant, malgré tout, des signes de changement émergent. Notre génération, connectée au reste du monde grâce aux réseaux sociaux, commence à briser le silence. Des jeunes partagent leurs luttes, parlent de dépression, d’anxiété, de burn-out. Ces témoignages, bien qu’encore timides, ouvrent une brèche dans le mur de la stigmatisation. Ils montrent qu’il est possible de souffrir sans être faible, de demander de l’aide sans être jugé.
Mais le chemin est long. Les guérisseurs traditionnels, les pasteurs, les familles doivent être impliqués dans ce processus. Au lieu de les opposer à la médecine moderne, pourquoi ne pas les intégrer ? Former ces figures respectées pour qu’elles puissent reconnaître les troubles graves, orienter les patients vers des structures adaptées, serait un pas décisif.
La santé mentale n’est pas un luxe. Ce n’est pas une préoccupation d’Occidentaux. C’est une réalité universelle, un besoin fondamental, tout comme manger ou respirer. Et au Congo, cette réalité, bien qu’entourée de silence et de stigmatisation, commence à trouver sa voix.
Je lance une invitation : écoutez. Écoutez vos proches, vos amis, vos voisins. Posez des questions, ouvrez des conversations, brisez le silence. Parfois, il ne faut pas grand-chose pour soulager une âme en détresse : une oreille attentive, un mot gentil, une présence qui rassure.
Le changement commence par de petits gestes. Et peut-être qu’un jour, dans un avenir que nous bâtirons ensemble, la santé mentale ne sera plus un tabou, mais un sujet dont on parlera librement, avec compassion et courage. Parce qu’il n’y a rien de plus humain que de vouloir comprendre et soigner l’esprit, tout comme nous soignons le corps.
Cedric Lamini
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